définitions
aliéner (v. trans.)
1.rendre hostile, causer le désir d'une séparation (ex. un travail ennuyeux aliène les employés).
2.(Droit)céder un droit ou une propriété à qqn.
3.(vieux)rendre fou.
aliéner (v. pron.)
1.causer l'hostilité de qqn à l'égard de soi-même (ex. elle s'aliéna ses amis quand elle devint fanatiquement religieuse).
2.se retirer en soi-même.
Le Littré (1880)
ALIÉNER (v. a.)[a-li-é-né. La syllabe én prend l'accent grave quand la syllabe qui suit est muette, il aliène, excepté au futur et au conditionnel, il aliénera]
1. Transférer à un autre une propriété. Aliéner son bien, son revenu.
• Dieu, quoiqu'il vous en ait laissé l'usage [des biens ecclésiastiques], n'en a aliéné ni le fonds, ni la propriété, puisqu'il peut vous les ôter par la mort, par l'injustice des hommes.... (MASS. Usage des biens ecclés.)
Fig.
• Il ne vous est pas permis d'aliéner un pareil soin (J. J. ROUSS. I, 17)
2. Fig. Rendre hostile.
• Par là il aliéna les esprits des peuples (BOSSUET Hist. I, 11)
• Je choquerai le maître qui m'emploie ; j'aliénerai de moi le protecteur qui m'a placé (BOURD. Pensées, t. I, p. 18)
• Par ses fureurs déplacées, elle aliène l'esprit de son fils.... (DIDER. Ess. sur. Claude.)
S'ALIÉNER, v. réfl.
3. Être aliéné, vendu. Cette terre ne peut s'aliéner.
• Si un homme peut légitimement s'aliéner à un autre (J. J. ROUSS. Ém. v.)
• Il n'est pas permis de s'aliéner à des princes auxquels on ne doit rien (J. J. ROUSS. Hél. I, 34)
4. S'aliéner, se séparer.
• Toute société partielle s'aliène de la grande (J. J. ROUSS. Ém. I)
5. S'abstraire.
• Je sais aussi m'aliéner, talent sans lequel on ne fait rien qui vaille (DIDER. Lettr. à Mme Riccoboni.)
6. Tourner à la folie. Son esprit s'aliène. Cet homme s'est aliéné tout à coup.
HISTORIQUE
XIIIe s.— Bourgois ne puet pas aliener la chose de la commune sanz le commandement le roi (Liv. de just. 47)— Et se le clamant dit que.... fié ne se peut vendre ne aliener, que par l'assise des ventes ou par partie de servise.... (Ass. de J. 63)— Chascun peut le sien doner et aliener par sa volenté (ib. I, 183)
XIVe s.— Et se leur tristece est alegée ou alienée pour l'une cause ou pour l'autre, nous n'en diron plus à present (ORESME Eth. 289)— Laquelle chose eust le pueple aliené en celui temps très perilleux (BERCHEURE f. 38, recto.)
XVe s.— Le chevalier s'excusa et dit que l'heritage du roi d'Angleterre, il ne pouvoit vendre, donner ni aliener que il ne fust trahistre (FROISS. II, III, 10)
XVIe s.— Ils vous diront que vostre doux langage Les coeurs humains aliene et engage (ST-GEL. 32)— ... Et si du tout alienés vous n'estes Par nos deffauts de nous et nos requestes... (ID. 217)— Il approuva seulement les donations qui ne seroient point procedées de sens aliené par quelque griefve maladie (AMYOT Solon, 40)— Ilz se partirent l'un d'avec l'autre, encore plus alienez qu'ilz n'estoient auparavant (AMYOT Lucul. 72)— Avec puissance de vendre et aliener ce qui appartenoit à la chose publique (AMYOT Cicéron, 14)— Caesar, qui plus est, aliena fort Pompeius de luy [Cicéron] (AMYOT ib. 39)— Et ne faut point s'estonner si ce malheureux print plaisir à souiller cette chair alienée [privée] de sentiments (YVER p. 561)— Ce qui lors fut jugé aliené [bien éloigné] des protestations qu'ils avoient faites, de ne prendre autre chose que la manutention de ladite religion (D'AUB. Hist. III, 331)— Les susdits humeurs se convertissent en diverses et alienées substances, qui ne ressemblent en rien aux humeurs, mais à plusieurs choses estranges (PARÉ V, 4)— Vous ne lui deveriez pas aliener ses biens (PALSGR. p. 420)— Vous avés aliené ce jeune homme de vous à tort et sans cause (PALSGR. ib.)
ÉTYMOLOGIE
Alienare, de alienus, de alius, autre ; provenç. alienar.
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
ALIÉNER. - REM. J. J. Rousseau a dit : Aliéner la tête, pour rendre fou. Je ne suis ni jour ni nuit un seul instant sans souffrir, ce qui m'aliène tout à fait la tête.... Lettre à Moultou, 18 janv. 1761.