Le Littré (1880)
ENVI (À L') (loc. adv.)[an-vi]
1. À qui mieux mieux, en rivalité.
• Ils servent à l'envi la passion d'un homme (CORN. Cinna, III, 1)
• Un noyau vint frapper Harpagème au visage, Il leur dit de n'y plus retourner davantage ; Eux sans daigner l'ouïr, et jetant à l'envi, Cet agaçant noyau de plusieurs fut suivi (LA FONT. le Florentin, sc. 8)
• Esther a triomphé des filles des Persans ; La nature et le ciel à l'envi l'ont ornée (RAC. Esth. III, 9)
• Tout vous livre à l'envi le rebelle Hippolyte (RAC. Phèdre, II, 2)
• Ils se haïssent, mais ils aiment l'État ; ce sont des amants jaloux qui servent à l'envi la même maîtresse (VOLT. Princ. de Babylone, 8)
• De là sur l'Hélicon deux partis opposés Règnent, et l'un par l'autre à l'envi déprisés.... (GILBERT Le 18e s.)
Il se dit aussi des choses qui semblent rivaliser.
• Et qu'ensuite à l'envi mille autres hyménées.... (CORN. Sert. I, 2)
• Et tandis qu'à l'envi leur amour se déploie.... (RAC. Iphig. II, 1)
Il se dit même d'une seule personne qui rivalise comme avec elle-même.
• La flotte qu'à l'envi favorisait Neptune (CORN. Pomp. III, 1)
2. Loc. prépos. À l'envi de, en rivalisant avec.
• Toutefois mon coeur à l'envi de Chimène adore ce vainqueur (CORN. Cid, v, 4)
• Et ses yeux qui brillaient sous son front assuré Éclataient à l'envi de son armet doré (TRISTAN M. de Chrispe, I, 3)
HISTORIQUE
XIIe s.— À Marsile en alai ad enviz ou de gré (Ronc. p. 199)— Ignaures si très biel s'acointe à chascune, quant il i vient, Que de l'autre ne li souvient, Ne nul semblant k'il l'ait envie (Lai d'Ignaurès)
XIIIe s.— Mais mout envis leur donne [le congé] l'emperere et otroie (AUDEFROI LE BAST. Romanc. p. 26)— Une grant pece [il] fu od lui, Moult à envis s'en departi (Lai del desiré)— Calendres i ot amassées En ung autre lieu, qui lassées De chanter furent à envis (la Rose, 657)— Car tor [une tour] de toutes pars assise [assiégée], Envis eschape d'estre prise (ib. 8638)
XIVe s.— Ce doit il faire enviz et à poine (ORESME Eth. 123)— Il lui dit : rendez-vous, ou vous serez occis ! Lors se rendi Thomas volentiers ou envis (Guesclin. 18483)
XVe s.— Trop envis s'y consentit le roy de France, mais toutefois l'accorda il (FROISS. I, I, 54)
XVIe s.— Et si je suis entre les hommes vifs, C'est malgré moy, certes, et bien envis (ST-GELAIS 90)— Qui estoit la seule cause que Sa Majesté moult envie descendoit à ce party : mais que force luy estoit de ce faire (M. DU BELLAY 266)— Ceux qui courent à l'envy doibvent.... (MONT. I, 29)— La saveur se treuve excellente, à l'envi des nostres, en divers fruicts de de ces contrées là (MONT. I, 234)— Il y a des pertes triumphantes à l'envy des victoires (MONT. I, 243)— Il s'obstina à se mocquer et à rire, à l'envy des maulx qu'on luy faisoit (MONT. I, 307)— J'engageois mes hardes.... avecques bien moins de contraincte, et moins envy que lors je ne faisois bresche à cette bourse (MONT. I, 316)— Il fault retarder l'inclination vers le mal, suyvre envy cette pente (MONT. IV, 134)— Les philosophes mesmes se desfont plus tard et plus envy de cette humeur [l'amour de la gloire] que de nulle autre (MONT. I, 320)— Quand ilz font à l'envy les uns les autres à qui chantera le mieulx (AMYOT Péric. 1)— Or je t'aimeray donc, bien qu'envis de mon coeur, Si c'est quelque amitié que d'aimer par contrainte (RONS. 179)
ÉTYMOLOGIE
Bourguig. anvi, involontairement ; wallon, evis', malgré soi ; namur. evis (s muette) ; provenç. a envis, malgré soi ; du latin invitus, qui paraît composé de in, privatif, et vitus, formation contracte de vicitus, rattaché au sanscrit vaç, vouloir. L'historique montre la série des sens : à l'envi, malgré la volonté de, puis en rivalité de, ce qui est une sorte de lutte contre la volonté de quelqu'un. La dérivation par invicem est impossible, tant à cause de l'accent qui est sur in, qu'à cause du sens primitif d'envi.
ENVI (s. m.)[an-vi]
Terme de jeu. Argent qu'on met au jeu pour enchérir sur son compagnon. On fait des envis au brelan, au hoc.
HISTORIQUE
XVIe s.— Le roy, le pape et le prince germain Jouent un jeu de prime assez jolie ; D'arme est leur vade, et l'envy l'Italie ; Et le roy tient le grand point en sa main (ST-GELAIS 66)— Cet usage portoit avec soy une accoustumance à la simplicité et un envy entre elles à qui auroit le corps plus robuste et mieux dispos (AMYOT Lyc. 26)
ÉTYMOLOGIE
Envi 1, dans le sens de rivalité ; un envi, dit Génin, Récréat. t. I, p. 400, étant une chose que l'on fait à l'envi pour tenir tête et enchérir. L'exemple d'Amyot à l'historique prouve que Génin a raison.
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
ENVI. - ÉTYM. Ajoutez : Le provenç. invit, invitation, défi, envidar, enviar, renvier, prouve que c'est le lat. invitare qui est le radical (voy. RENVI, RENVIER). Ce rapprochement avec le provençal écarte l'étymologie de Génin, qui voyait dans envi une extension du sens de la locution à l'envi. Quant à l'argument tiré de l'exemple d'Amyot en faveur de à l'envi : un envy entre elles, s'expliquant par une métaphore tirée du terme de jeu, il n'est pas un obstacle à recevoir l'étymologie indiquée par le provençal.